Urbain V est le plus remarquable des Lozériens et le plus sympathique des papes d'Avignon. Il a vécu plus d'un siècle avant le protestantisme qui a tant marqué ce pays. Son activité a concerné la chrétienté entière mais il a été particulièrement généreux pour son Gévaudan natal (Lozère).
Guillaume Grimoard, le futur Urbain V naquit en 1309 ou 1310. Ses parents Guillaume Grimoard et Amphélise de Sabran, s'étaient installés au château de Grizac (petit village dans la commune du Pont-de-Montvert) vers la fin du XIIIe siècle .
Le pape Urbain V érigea Grizac en paroisse en 1367 et y fit construire une église afin que sa famille n’ait pas de chemin à faire pour aller assister à l’office. Cette église fut détruite lors des guerres de religion.
Avant cela, au XIIe siècle, parce que Fraissinet était fort loin, on avait construit une chapelle à Saint-Thomas-d'Altefage dont il ne subsiste aujourd’hui que quelques ruines (non loin du carrefour de la D20 avec la route de Grizac).
Au XIXe siècle, on reprit et modifia le château où l'on perça des fenêtres et on l'utilisa comme école. Un incendie dévora le château le 2 août 1913 et le fit écrouler. Un descendant des Grimoard, le marquis de Laubespin a racheté le château de Grizac en 1982; il a entrepris de le restaurer. On peut y voir, l'été, une exposition sur Urbain V.
Après avoir reçu la tonsure de l'évêque de Mende, Guillaume de Grimoard quitta vers 12 ans le château familial pour aller étudier à Montpellier puis à Toulouse, où il fit 4 ans de droit et obtint le bonnet de docteur.
Son oncle, Anglic Grimoard, était prieur du monastère de Chirac (aujourd'hui le Monastier). Guillaume y prit l'habit noir des Bénédictins, qu'il ne devait plus quitter jusqu'à sa mort. C’est là qu’il fut ordonné prêtre.
Il eut ensuite une vie mouvementée : d'abord professeur de droit canon à Toulouse et Avignon (il fut l’un des meilleurs canonistes de son siècle), puis vicaire général à Clermont et à Uzès, enfin légat pontifical en 1352 auprès de l'évêque de Milan, plus tard, auprès de la reine Jeanne à Naples.
Entre temps il avait reçu la direction de l'abbaye de Saint-Germain d'Auxerre où il rétablit l’ordre et les finances. Et, en 1361, il devenait abbé de Saint-Victor de Marseille,
Le 12 septembre 1362 mourut à Avignon le pape Innocent VI. Parmi les 21 cardinaux du Sacré Collège (dont 18 étaient français) aucune majorité ne put se dégager. Le choix se fixa alors sur Guillaume Grimoard, en son absence et alors même qu’il n’était ni cardinal ni même évêque. Il fut sacré pape en Avignon le 6 novembre 1362. Pétrarque le félicita de son élection.
En prenant possession de son palais, le nouveau pape se serait écrie : «Mais je n'ai même pas un bout de jardin pour voir grandir quelques fruitiers, manger ma salade et cueillir un raisin». La plainte d'un paysan déraciné. L'anecdote montre bien que le nouveau pontife avait gardé la nostalgie de la vie simple. Il n'oubliera pas ses origines de gentilhomme paysan, même au faîte des honneurs. Cette simplicité toute cévenole et ce bon sens dont on fait volontiers une qualité lozérienne ne le quitteront pas.
Il fonde à Montpellier (sur les conseils de son compatriote et ami le chirurgien Guy de Chaulhac, lui aussi Gévaudanais) le collège des Douze Médecins, nommé collège Saint-Matthieu, avec des bourses pour 12 étudiants en médecine gévaudanais. Les statuts sont rédigés en 1380. La faculté de médecine était née.
Il fonda aussi la faculté de théologie de Padoue, un collège à Bologne et réforma les statuts des universités de Paris, d'Orléans et de Toulouse, fonda plusieurs universités à Orange, Cracovie, Vienne. ....
A Bédouès existait un prieuré Saint-Saturnin (photo ci contre) où Guillaume avait été baptisé. Le pape voulut assurer à tous les membres de sa famille les prières et les messes d'une communauté religieuse. Il décida, par une bulle de décembre 1363, de créer à Bédouès un chapitre collégial comprenant six chanoines prêtres, un diacre et un sous-diacre. L'église fut bâtie en schiste et en forme de croix latine.
La Chambre Apostolique (banque du pape) finança les constructions, qui coûtèrent 3 à 4 000 florins d'or. Urbain V fit acheter jusqu'aux nappes. Il meubla l'église en livres, calices, reliquaires, ornements, il lui offrit quatre cloches. Les chanoines installés en 1365 devaient célébrer l'office divin, pour la famille papale à perpétuité.
Mais la perpétuité est une illusion humaine. Deux siècles plus tard, en 1581, le capitaine Merle et sa troupe de Huguenots s'emparaient de cette collégiale fortifiée, tuaient ou capturaient les chanoines, enlevaient joyaux, reliques, documents, cloches. Puis, Merle sapait l'église et réduisait le tout en un monceau de pierres.
Après les guerres de Religion, l'église fut reconstruite, plus petite. En 1854, elle fut restaurée, agrandie et retrouva ses dimensions primitives, sans la richesse de sa première décoration. Les travaux permirent au curé Couderc de découvrir le tombeau de la famille d'Urbain V : il fit dresser sur le caveau, dans la chapelle sud, un monument de marbre, pour rappeler les noms de ceux qui gisent là.
Bédouès dépendait des seigneurs de Grizac et faisait partie des terres familiales d'Urbain V. Le roi de France avait exempté d'impôts et de charges les hommes de ces terres.
En 1365, le 19 avril, Urbain V fonde à Quézac une autre collégiale. Elle connut aussi bien des troubles sous les guerres de Religion. En 1562, elle fut envahie et les reliquaires, ornements, meubles et archives disparurent. Le toit de l'église brûla, ainsi que l'hôpital, avec 9 lits garnis. En 1580, Merle avec ses hommes font une importante brèche aux remparts du château. Deux chanoines sont tués, d'autres pris et rançonnés.
Juriste de formation, Guillaume Grimoard était cependant ouvert à toutes les formes de la culture. Son temps d'ailleurs a subi les poussées du premier humanisme, dont Pétrarque est l'initiateur. Il témoigne à Urbain V la plus grande admiration, pour sa patience et pour son humanité : «O grand homme, sans pareil dans notre temps, et dont les pareils, en tous temps, sont trop rares», lui dira-t-il. Les rapports entre le poète et le pape ont été étudiés par le lozérien Théophile Roussel qui eut, dans sa jeunesse, une passion pour Urbain V.
Le pape gévaudanais multiplia les fondations scolaires et universitaires : plus de 1 400 étudiants vivaient de ses libéralités. A Saint Germain de Calberte le pape créa en 1363 un séminaire avant la lettre, une maison d'études ou «studium». Aux jeunes étudiants de Saint-Germain, le pape fournissait livres d'étude (fort chers en ce temps-là), nourriture, habillement et leur assurait de bons professeurs. En fin d'études, les jeunes séminaristes allaient passer l'examen à Avignon puis ils allaient à l'Université de Montpellier.
Si généreux pour autrui, Urbain V dépensait bien peu pour lui-même : en avril 1363, il s'était fait aménager, au palais d'Avignon, une humble chambre à coucher, en isolant, avec des planches ou «ais», un modeste coin dans une pièce de parade.
Église Saint-Germain de Saint-Germain-de-Calberte : détail du décor sculpté d'un des vantaux du portail
Florac, en 1361, avait subi un premier assaut des Routiers. La ville demanda des remparts en 1362. Le représentant du roi Jean le Bon en Gévaudan permit aux Floracois d'établir un «barrage». Mais la construction n'était pas encore achevée quand une troupe de Routiers prit le bourg et le brûla. Le pape Urbain vint au secours de ses compatriotes: il leur prêta 300 florins pour construire leurs remparts.
Il n'oublia pas d’aider Salmon, Moriès, Montjézieu, ni Montferrand où s'élevait le château de sa mère; ni Fraissinet-de-Lozère, Saint-Privat-de-Vallongue, Saint-Germain-de-Calberte et son église. Au monastère de Chirac, il paya, outre la restauration de l'église et du cloître, la construction d'une grosse tour fortifiée, près du chevet.
Le pape Urbain V n'oubliera pas son diocèse natal, dont il sait la pauvreté et les besoins et sur lequel il déversera, à pleines mains, les bienfaits des richesses pontificales. Il montrera, selon l'expression qu'il emploie dans une de ses Bulles, qu'il porte «l'église de Mende au plus profond de son cœur, comme une fille préférée» (Bulle de mars 1369).
La «gleisa major» ou «grande église» de Mende, dont l'autel avait été consacré vers 1105, était devenue trop petite pour la ville. Urbain V décida de remplacer l'édifice roman par une cathédrale gothique élevée sur le même emplacement. Mende était un riche évêché : au début du l6 e siècle, il rapportait 39 000 livres, alors que Toulouse en donnait 35 000 et Montpellier 32 000.
Il ne put terminer ce travail gigantesque : à sa mort, il manquait l'abside, une travée et les chapelles correspondantes. Les travaux reprirent bien plus tard en 1452.
L’édifice sera partiellement détruit pendant les guerres de religion par Mathieu Merle en 1581 et reconstruit ensuite, "à l’identique mais sans façon ni ornement" entre 1598 et 1620. À l’intérieur se trouve le battant de la Non Pareille qui fut en son temps (1517-1580) la plus grosse cloche de la chrétienté. Elle aussi fut détruite pendant les guerres de religion et son bronze servit à couler des canons.
Tandis qu'il se préoccupait de doter Mende d'une digne cathédrale, Urbain V avait de grands soucis avec le siège de la papauté : fallait il le ramener d'Avignon à Rome ? Il céda, en 1367, aux sollicitations des Italiens et de Pétrarque, s'embarqua à Marseille le 19 mai pour arriver seulement le 16 octobre dans la Ville Eternelle, il devait en repartir au bout de trois ans, fatigué des rumeurs et des intrigues et malgré sainte Brigitte qui le promettait une mort prochaine.
Urbain V se préoccupe de réconcilier, en octobre 1369, l'empereur de Byzance et le patriarche de Constantinople.
Il est l'instigateur de missions dans le monde entier : îles Canaries, Pékin, Dalmatie, Moldavie, Bulgarie, Crête, Arménie, Russie, Afrique du Nord … et se distingue par son rôle d'arbitre dans la guerre de Cent Ans. C’est ce qui le fit revenir à Avignon en septembre 1370.
Il mourut quelques mois après, le 19 décembre 1370, âgé d'environ 61 ans. Ce pape dont on a dit qu'il fut «la lumière du monde» voulut être enseveli comme le plus humble des moines, à même la terre, sans cercueil.
Urbain V fut transporté à Saint-Victor deux ans après sa mort, en 1372. Son renom de sainteté attira les pèlerins, qui ont laissé dans les cryptes et sur les murs de la Confession de maladroits mais émouvants graffiti.
Dans le chœur de l'église, on lui éleva un tombeau somptueux, de style gothique rayonnant, qui mesurait 7 mètres sur 3,75. Lors de son procès en canonisation on recouvrit ce monument d'un ouvrage de bois jusqu'à ce que l'église ordonnât «l'exposition» du saint.
Par une étrange infortune le tombeau a disparu de Saint-Victor ; le tombeau fut démoli au 18e siècle et le corps placé ailleurs, dans l'abbaye. Vint la Révolution, qui bouleversa et détruisit tant de choses. Et nul ne sait maintenant où se trouve le corps du pape gévaudanais.
A l'initiative de Théophile Roussel, les Lozériens ont élevée une statue en 1874 à leur pape qui fit tant pour son diocèse natal. Cette érection, appelée «œuvre sainte», se fit par souscription. On inaugura la statue le 28 juin (photo ci contre).
Grâce surtout à la générosité d'Urbain V, la cathédrale de Mende possédait un important trésor, inventorié en 1380, placé sous la garde des chanoines. Parmi des centaines de pièces, dont beaucoup portaient le timbre du pape, deux étaient remarquables :
Le reliquaire de la sainte Epine de la couronne du Christ, et celui de la mâchoire inférieure de Saint Blaise. Mais bien d'autres objets se signalaient par leur beauté ou leur richesse,
Peu de cathédrales, dans le royaume de France, ont possédé tant de joyaux et un si précieux mobilier liturgique; tant de chapes processionnelles, tant de «chapelles»' ou ensemble d'ornements nécessaires pour une messe solennelle.
Gardien de ces joyaux, le Chapitre crut pouvoir en gager ou en vendre un certain nombre pour achever la construction de la cathédrale. Le Saint-Siège par trois fois rappela aux chanoines que ce trésor était inaliénable. Le fit-il et comment fit-il ? Nous l'ignorons.
Mais moins de deux siècles plus tard, en 1560, le roi François II, pour payer ses gens de guerre, taxait les chanoines de Mende. Un inventaire de 1562 donne la liste des joyaux qu'ils ont vendus au sieur de la Vigne, pour 2000 écus. Dans le lot, on trouve la fameuse croix d'or enrichie de diamants, dite Croix de Condom qui pesait près de 5 livres, léguée à la cathédrale par le Gévaudanais Bernard Alaman.
Ce qui restait du trésor tomba aux mains des huguenots de Merle, à la prise de Mende, en 1580.i
De nos jours on peut admirer, entre autre, une Vierge noire (dont on fit mention pour la première fois en 1249), des tapisseries d’Aubusson qui retracent la vie de la vierge et un tableau (primitif italien) récemment restauré et exposé qui représente Urbain V tenant les chefs de St Pierre et St Paul.
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Béatifié en 1870, sous Pie IX, Urbain V est considéré comme saint dans le nouveau calendrier liturgique publié par Paul VI, sans avoir été formellement canonisé.